DU Parc des Sports Bordeaux-Lescure AU STADE chaban-DELMAS

1923 - 1986 : Un lieu historique du sport bordelais

La construction de grands stades en France date de l’entre-deux-guerres et démarre avec le stade Pershing en 1919 et, surtout, celui de Colombes en 1923 (Délépine, 2022 ). Pourtant, quelques velléités de construction ont existé au début du XXe siècle et notamment à Bordeaux. Ainsi, une première  société immobilière est créée pour racheter un parc des sports avec un budget de 1,1 million de francs (Mourgues, 2014). L’architecte Alfred Duprat en dessine les plans qui seront en partie repris après-guerre lorsqu’une Société anonyme dirigée par les pouvoirs publics décide de relancer le projet. Cependant, en 1930, le parc est racheté par la ville qui en construira un nouveau en place de l’ancien ; il prendra le nom de stade Chaban-Delmas en  2001 après bien des vicissitudes et travaux d’aménagement réalisés, notamment, pour 1986.

Le stade Lescure laisse un héritage remarquable dont l’architecture art déco témoigne autant des passions sportives les plus diverses qui s’exercent et se sont exercées que de la volonté d’en faire un complexe moderne répondant aux besoins des Bordelais. Qui n’a pas vibré pour les Girondins ou les matchs de rugby ?

Genèse du Parc des Sports

Le 23 mars 1923, le haut-commissaire aux sport, Henry Paté, pose la première pierre du parc des sports de Bordeaux-Lescure.

« Le programme du conseil d’administration est simple. Par de grandes manifestations organisées le dimanche, il veut offrir au public un attrayant spectacle et développé en lui le goût et la pratique des sports« 

La Petite Gironde, 22 mars 1923

Ce programme s’appuie sur des équipements qui se veulent résolument modernes. Un vélodrome de 500 mètres en cendrée, un stade de football et des tribunes pouvant recevoir 40 000 personnes dont 20 000 assises. Y est aussi prévue une salle de projection de cinéma de 1200 places afin d’analyser le mouvement, une piscine et des terrains de tennis. En effet, non seulement les pratiquants du dimanche pourront venir s’exercer, mais aussi les joueurs des équipes de football élites, les élèves des écoles et les militaires y sont aussi conviés. La réalisation du Parc des Sports sera moins ambitieuse même si le président d’honneur de la société qui pilote ce projet est le maire Fernand Philippart (1919-1925) qui s’inscrit dans la lignée des édiles bâtisseurs prônant le bien être corporel de ses administrés, mais aussi le sport de compétition.

Le 20 mars 1924, à 14h15, se déroule l’ouverture du Parc des Sports de Bordeaux-Lescure avec deux matchs de rugby ; le Bordeaux-Etudiants-Club contre le Sport Athlétique Bordelais et le Stade Bordelais U.C. contre le Club Athlétique Béglais.

 

L’histoire d’un stade qui raconte le développement local du sport et de ses déboires

Le stade municipal de Bordeaux en 1938

 Le Stade Chaban en bref

  • Nom : Parc des sports Bordeaux-Lescure
  • Localisation : 5 Place Johnston, 33000 Bordeaux; anciennement, Boulevard Antoine Gautier.
  • Type d’équipement : Stade, vélodrome, athlétisme, gymnase
  • Pratique(s) : cyclisme, athlétisme, gymnastique, motocyclisme, football rugby.
  • Année de construction : 1923
  • Année de reconversion : 1986
  • Architectes :
    • Alfred Duprat (1913)
    • Raoul Jourde (1933-1935)
    • Jacques D’Welles (1935-1938)
    • René Buthaud (1938) céramiste
    • Marcel Damboise (1938), sculpteur
    • Alfred Janniot (1938), sculpteur
    • Guy Dupuis (1986)
    • Michel Moga (1998)
  • Ingénieur : Egidio Dabbeni (1933-1935)
  • Rénovations : 1938, 1987, 1998, 2008
Le vélodrome Lescure

La Rénovation du stade (1933-1938)

Mais en 1930, le Parc des Sports change de gestionnaire en raison de difficultés financières.  A la suite de la réunion du conseil d’administration de la société qui se tient le 19 mai 1930, le Parc est vendu à la ville pour la somme de 3 millions 8 de francs (environ 250 millions d’euros 2023). Les travaux à réaliser pour le rénover sont estimés à 1 million 5 de francs par l’architecte de la ville Jacques D’Welles, mais la somme est loin d’être réaliste. Relié par le tramway au reste de la ville, le complexe sportif voulu par Adrien Marquet (1925-1944) peut espérer voir le jour. Mais le budget est décuplé.

« Trois tranches de travaux sont à ce moment-là envisagées, d’un montant de 11 millions de francs (…). Une refonte totale du stade est prévue, avec pour seul élément subsistant la piste de cyclisme »

Mourgues, 2014

De 1933 à 1938, le stade ferme pour travaux. Il est inauguré par une rencontre de la Coupe du monde de football Brésil-Tchécoslovaquie avec une capacité d’accueil du public estimée entre 23 000 à 30 000 places selon les sources. Les choix effectués par les édiles de la ville ne sont pas sans conséquences. En effet, la construction de la piste d’athlétisme est reportée à 1940 à un moment où Jules Ladoumègue, bordelais, certes disgracié pour cause de professionnalisme, a fait résonner la voix de la France au niveau international. La raison en est sans doute financière. « L‘estimation finale est de 35 millions de francs, étalés entre 1930 et 1942, soit un coût six à sept fois supérieur au coût de départ » (Mourgues, 2014), (près d’1 milliard 160 millions d’euros 2023). En effet, il y a eu de nombreux travaux supplémentaires dont ceux d’assainissement du marais du Peugue côté Est nécessitant le forage de pieux de 25 m et un nivellement du terrain dans un sol d’une excessive dureté Côté Ouest. Surtout,

« Une fois lancés, les travaux connaissent plusieurs freins à leur progression : le conflit entre Raoul Jourde, architecte, Jacques d’Welles et l’entreprise France et Colonies (1935) et la grève des ouvriers du chantier (1936) »

Mourgues, 2014

Mais, sans conteste, le stade est une réussite sur le plan fonctionnel et architectural. Il est même qualifié « de stade le plus moderne de France » (Excelsior, 2 décembre 1937). Sont particulièrement mises en valeur « les fantastiques voutes à encorbellement » ainsi que l’entrée « qui sera d’une largeur inusitée, et recouverte d’un dôme audacieux en ciment armé » (La France, 29 mai 1937). A côté de l’immense portique d’entrée, 24 guichets sont disposés pour la vente de billets. L’ancien coureur cycliste de vitesse, Lucien Faucheux, est nommé à la direction du stade par le maire Adrien Marquet.

De l’après-guerre au stade Jacques Chaban Delmas (1945-1986)

Entre travaux d’entretien et de rénovation, le stade subit de constants travaux. La piste d’athlétisme, en particulier, doit être réalisée. Un second gymnase est envisagée au-dessus de l’ancien afin de ne pas abattre d’arbres. En 1977, le Peugue doit être de nouveau canalisé. Le stade pour l’équipe de football ou la piste d’athlétisme pour les scolaires est inutilisable. S’y ajoute une salle de réception. Mais ce sont surtout les capacités d’accueil du public qui sont remis en cause au regard des résultats des Girondins de Bordeaux. La piste cycliste ne répond pas aux normes d’un stade de football et sera détruite.

« La construction d’une nouvelle enceinte est mise sur le devant de la scène par la municipalité en 1980. Jacques Chaban-Delmas n’est pas défavorable à un nouveau stade : la France a obtenu l’organisation de l’Euro 1984, et doit disposer de stades de plus de 50 000 places. De plus, l’État contribue à l’équipement, avec l’opération « Grands stades » » (Mourgues, 2014).

 

Dans un contexte de réussite sportive de l’équipe de football, et après bien des atermoiements entre les différentes parties prenantes hésitant entre la rénovation du stade Lescure et la construction d’un nouveau, la première solution est envisagée : une première tranche de travaux est confiée à l’architecte Guy Dupuis et il est décidé de supprimer la piste cycliste. Suite à la surélévation des gradins la capacité d’accueil est portée à près de 50 000 places pour un coût estimé d’environ 100 millions de francs selon Vincent Mourgues. « Le prix des places est resté à la discrétion du club et des instances du football : le prix d’une place « populaire » est passé de 13,50 francs en 1981 à 24 francs en 1988 » (Mourgues, 2014). L’attachement mémoriel à l’ancienne structure et, surtout l’investissement important qu’aurait requis une nouvelle, emportent la décision auprès de Jacques Chaban-Delmas. Mais « si les aménagements faits le sont pour rendre durable le stade, celui-ci connaît une rénovation moins de dix ans après sa mise en service » (Mourgues, 2014). Le premier match sous la nouvelle configuration eu lieu le 8 février 1987 contre Evert.

 

Les travaux de rénovation de la fin du vingtième siècle

Pour la Coupe du monde de football de 1998, la rénovation du stade est confiée à Michel Moga, et comporte la modernisation des équipements et la transformation de toutes les places en places assises ainsi que la construction sur l’annexe du stade d’un centre de presse reconverti depuis en salle omnisports. Le stade accueille également deux matchs de poule de la Coupe du monde de rugby à XV 1999.

En 2001, le stade Lescure est renommé Stade Chaban-Delmas en hommage à Jacques Chaban-Delmas, qui fut maire de Bordeaux de 1947 à 1995. Avec la Coupe du monde de rugby de 2007, le stade accueille le quatrième mondial de son histoire. Son label « Patrimoine du xxe siècle » rend sa rénovation et sa modernisation difficiles : le toit ne couvre pas les places construites après 1984 sur l’ancien vélodrome et les virages, et les contraintes techniques de la voute en béton sans pilier complexifie tout projet.

Le stade proprement dit et les installations sportives adjacentes du domaine Lescure (à l’exclusion des bâtiments construits dans les années 1990) sont inscrits à la liste des monuments historiques le 24 octobre 2022.

En guise de conclusion : Du Parc des Sports Bordeaux-Lescure au stade Mamut et à la déroute des Girondins

Le stade fut l’élément principal de l’espace sportif du Parc Lescure durant toutes ces années. Il a accueilli l’équipe de football des Girondins de Bordeaux de 1938 à 2015 et héberge l’équipe de rugby de l’Union Bordeaux Bègles depuis 2011. Certes, l’idée de construire le nouveau stade Matmut pour la Coupe du monde de 1998 a germé dans un contexte de prospérité économique et de réussite sportive, mais le regard porté sur son passé n’aurait-il pas dû faire réfléchir plus avant les édiles qui ont pris cette décision ? On savait que les matchs de football ont très rarement drainé plus de 30 000 spectateurs depuis ses origines.

De plus, les travaux universitaires de l’époque avaient bien mis en évidence la particularité d’un « modèle » français fort différent de celui anglais et italien. Et pourtant, cette décision de construire fut prise, qui plus est dans un endroit loin du centre ville, Bordeaux-Lac, et mal desservi en transport en commun. En outre, la décision d’un PPP -Public Private Partnership- s’est avérée désastreuse financièrement au point que, en 2024, la ville envisage de revendre le stade à un entrepreneur privé d’autant que la relégation en Nationale 2 de l’équipe girondine a amplifié sinon révélé cette mauvaise gestion.

Mais personne ne semble remettre en question les choix réalisés depuis les années 1980. Tout au plus, les discours actuels ne concernent que du futur modèle de gestion sportif et financier qu’il faudrait adopter dans le futur afin de reconstruire l’équipe première. Or, effectuer une analyse de cette histoire du Parc des Sports dans son contexte bordelais politique, culturel et sportif (Suchet et al. 2023 contribuerait certainement à mieux comprendre ces dérives afin de proposer des pistes constructives d’évolution pour l’avenir de ces stade et du sport bordelais.

Galerie photo du Stade Lescure à Bordeaux

Ressources documentaires et bibliographiques

 

Delépine Michaël, Le bel endormi. Histoire du stade de Colombes, Neuilly, Atlande, 2022.

Mourgues Vincent. « Un grand stade à Bordeaux ». Sport, nature et développement durable, édité par Jean-Paul Callède et al., Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine, 2014, https://doi.org/10.4000/books.msha.3475.

Suchet André, Rondel Noémie et Favory Michel, « La construction du stade Matmut atlantique dans le projet politique et urbain de Bordeaux comme métropole du Sud-Ouest Européen »,Annales de Géopgraphie, 3/751, 2023, pp. 52-75.

La Petite Gironde, 22 mars 1923.

Excelsior, 2 décembre 1937.

La France, 29 mai 1937.

Nos remerciements à Lionel Vignes pour les photos complémentaires

Localisation du stade Bordeaux-Lescure