Le jeu de paume du parc beaumont A pau (64)
L'histoire du Trinquet BeaumontTrès tôt, la cité de Pau a accueilli la pratique de la courte paume en ses murs. En 1420, le sire de Caumont décrit un aménagement au cœur du château médiéval. Une « mayson deu joc de paume » existe ailleurs dans la ville en 1546…
Le retour de la Courte Paume à Pau
Pour donner à son fils Henri, le futur Henri IV, l’éducation d’un roi, Jeanne d’Albret lui fait construire en 1579 deux salles contre le rempart au fond des fossés du palais des rois de Navarre. Tous ces éléments disparaissent cependant avant le XVIIIe siècle, alors que la pratique de la courte paume tombe en désuétude au royaume de France.
Le poids de l’influence britannique
La renaissance de la courte paume à Pau date des années 1880 lorsque la municipalité décide d’établir des installations sportives afin de répondre à l’anglomanie croissante de l’élite paloise et stabiliser la population des hivernants parisiens, anglais et américains.
Avec son équipage de chasse au renard (Pau Hunt, 1840), « Pau, reine des sports » – « the hub of the sporting world » selon la formule de James Gordon Bennett Jr – est en train d’éclore.
Un parcours de golf est inauguré dès 1856 dans la plaine de Billère qui reçoit également les premières rencontres de polo en 1872, ainsi que des parties de longue paume, un espace de tir à l’arc ou de tir aux pigeons. Et bientôt les aéroplanes des frères Wilbur et Orville Wright.
L’association de Jeu de Paume de Pau
Dans un parc près du centre-ville, des terrains sont mis à disposition pour créer un stand de tir et un vélodrome pour le Véloce Club Béarnais (VCB). Une Association du jeu de paume (AJP), qui rassemble des représentants de la haute société locale et quelques membres du Cercle anglais, est créée le 21 mai 1887 pour faire édifier une salle de courte paume au cœur du parc Beaumont (architecte : Henri Lalheugue), sur le modèle des deux jeux de paume de Paris construits aux Tuileries en 1862 (plans de Melchior Viraut) et 1879. Le premier règlement général de l’AJP est publié dans le Journal des étrangers, le 22 décembre 1887.
L’histoire du Jeu de Paume du Parc Beaumont à Pau
Trinquet Beaumont avant la restauration des années 1990
Le Jeu de Paume du Parc Beaumont en bref
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Dénominations : Jeu de paume du Parc Beaumont, Trinquet Beaumont
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Période : XIXe siècle – XXIe siècle
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Datation : 1887
- Architectes : Henri Lalheugue, Melchior Viraut
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Adresse : 1 boulevard Barbanègre, 64000 Pau
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Latitude : 43,2971185
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Longitude : -0,3605235
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Localisation : 43° 17′ 50.1288″, -0° 21′ 37.674″
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Cadastre : BV290
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Dimensions (L x l x h) : 29,40 m x 9,30 m x ? (hauteur non définie)
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Protection : Ni classement ni inscription au titre des Monuments Historiques
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Association sportive : Association sportive du Jeu de paume de Navarre (ASJPN)
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Président : Simon Berry
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Maître-paumier : Wayne Davies
Jeu de paume des Tuileries à Paris, Terrasse des Feuillants (archi. : Melchior Viraut, 1862) Bibliothèque historique de la ville de Paris
Le Jeu du Parc Beaumont, inspiré du Jeu parisien des Tuileries.
Photo Serge Vaucelle (2017)
Affiche de Vincent Lorant-Heilbronn (1899). Source : Pireneas
Groupe de joueurs au Jeu Beaumont de Pau en 1921.
Noter la galerie du dedans, la couleur sombre des murs, le marquage des chasses – Albert De Luze, La magnifique histoire du jeu de paume, 1933, p. 375. – Source Gallica, BnF
Les équipements du Jeu de Paume
En agrémentant la salle de deux courts extérieurs de lawn-tennis, l’ambition est de faire de ce site le lieu le plus visité de la ville. Originaire de Bayonne, le maître-paumier retenu est un pelotari, Émile Broquedis, qui organise indifféremment des parties de courte paume et du jeu basque de pasaka (jeu direct en face à face, joué en double de part et d’autre d’un filet avec un gant de cuir).
Sous sa conduite, sa jeune fille Marguerite y découvre très tôt les jeux de balles, éducation qui la conduira au titre de championne olympique de lawn-tennis en 1912. En 1903, les comités du VCB et de l’AJP fusionnent et prennent le nom de Tennis et lawn-tennis club de Pau (TLTCP), société qui combine jeu de paume (tennis pour les anglophones) et lawn-tennis (du jeu de paume sur herbe, une invention anglaise qui remonte à 1873).
Trinquet Beaumont : galerie, drain central et « carreau » d’origine (années 1970)
Le passage d’Albert de Luze
De passage à Pau dans les années 1900, Albert de Luze, joueur bordelais alors champion de France, note la qualité de ce court : « le meilleur de ceux dans lesquels j’ai joué », avec « ses bandeaux verts et ses murs rougeâtres » (vert-bouteille et rouge-bordeaux). Il relate aussi son plaisir à jouer contre le paumier Broquedis – « aussi bien à cause de son jeu classique et facile que de son caractère enjoué ».
Galerie basse du « dedans » (toit plat). Photo SV (2017)
Les maîtres paumier du Trinquet Beaumont
À partir de 1905, c’est Cyprien Peyroutet qui assume la tâche de maître-paumier – « médiocre paumier mais incomparable gérant » selon les mots du Vicomte Henri de Vaufreland.
Elle incombe ensuite à Constant Haillet (à partir de de 1928). Jean-Baptiste Plaa (1910-1915) puis Martin Plaa (1912-1927) se succèdent comme paumiers-assistants, avant d’enseigner comme professionnels de lawn-tennis sur les courts extérieurs du TLTCP (Bertrand Hourtané, Constant Haillet, Patrick de Stampa, Jacques Hennion, Daniel Décamps seront leurs successeurs).
Cependant, depuis le retour de la Grande Guerre, l’activité de courte paume s’essouffle face à l’essor du lawn-tennis : elle ralentit fortement après 1932 malgré l’organisation des compétitions prestigieuses comme la Coupe de Pau depuis 1921.
L’après-guerre
Pendant la seconde Guerre Mondiale, le club cesse ses activités, le bâtiment étant réquisitionné pour l’accueil de réfugiés puis comme entrepôt de vêtements. À partir de 1945, la salle est transformée pour accueillir des pelotaris devenus plus nombreux que les joueurs de paume ou de lawn-tennis.
La situation est inchangée jusqu’en 1991, même si de nouveaux courts extérieurs ont été construits ou rénovés aux abords du club en 1965 (jusqu’à sept courts). À la liquidation du Lawn tennis club en 1996, la concession des terrains est proposée par la municipalité de Pau au comité régional de la FFT (Ligue de tennis Côte Basque-Béarn-Landes, 1963).
Anciennes dalles de la « galerie de grille » (devers) du jeu de paume. Photo SV (2017)
La rénovation du Jeu de Paume du Parc Beaumont
Entre temps, la salle de jeu de paume est profondément remaniée en trinquet de pelote basque : le « carreau » de sol originellement construit en pierre est partiellement ragréé par du ciment gris (1945), avant d’être transformé dans les années 1990. La galerie de « grille » (devers) est déposée ainsi que celle du « dedans ». Il n’existe alors plus que la longue galerie latérale, avec des murs à la teinte crème (puis vert-pomme), et un simple liseré de rouge pour marquer la barre du frontis, les potences métalliques des galeries et le trou du « xilo ». Le tambour mural a été effondré pour laisser place à un pan coupé d’angle. Seule subsistance de la pratique de la courte paume en ces lieux : les grandes dalles de sol de l’ancienne « galerie de grille » sont redevenues visibles au pied du frontis (mur de frappe pour la pelote basque).
Les associations locales
Il faut attendre l’année 2005 pour qu’une Association sportive du jeu de paume de Pau (JPP), devenue en 2007 Association du jeu de paume de Navarre (JPN), relance l’activité, offrant ainsi une quatrième salle de courte paume en France, ce qui n’était pas arrivé depuis près de deux siècles.
Entre temps, la salle du Parc Beaumont, investie par les pelotaris du club Beaumont Pau lotari, a été transformée en trinquet basque. Les adaptations spécifiques aux activités de pelote (à pala, paleta, xare ou à main nue) ont modifié la configuration originelle de la salle historique : réduction de la pente des toits de galerie, effacement des lignes de chasses, décrochage du filet. C’est donc avec des aménagements provisoires que les joueurs de paume ont durablement cohabité avec les pelotaris.
Photo Simon Berry (2024)
En 2018, la venue du prince Edward comme invité de marque sur le carreau palois ne peut que conforter les joueurs du club, alors qu’un projet de remise en état initial de la salle de paume a été engagé par la municipalité paloise. Le complexe moderne de pelote basque inauguré en 2006 à proximité de l’hippodrome de la ville était la solution. Situé au nord de l’agglomération, cet espace est le seul édifice en France capable d’accueillir les 23 spécialités de la discipline, dont certaines servent de support officiel à des paris sportifs.
Après la satisfaction des pelotaris, la relance de l’activité paumière de la salle paloise est organisée.
Le trinquet du parc Beaumont de nos jours
Depuis 2023, les premiers aménagements indispensables au jeu sont restitués, en attendant une restauration complète de l’architecture intérieure.
Nouvellement teinté de rouge, le carreau de sol a retrouvé ses lignes de chasses, et une peinture noire recouvre désormais la galerie latérale et les quatre murs de la salle. Soutenu par le Comité français de courte paume de la FFT, un retour à la configuration originelle (avec trois vraies galeries et un tambour mural) du site historique sera incontournable pour que la ville de Pau obtienne l’inscription au patrimoine mondial de l’UNESCO de l’ensemble « boulevard des Pyrénées » avec la vue panoramique sur la chaîne des Pyrénées et le Parc Beaumont » où est installé cet ancien tripot longtemps demeuré trinquet.
Le tournoi des tripots
Depuis 2012, le JPN organise tous les deux ans le « Tournoi des trois tripots » qui accueille plusieurs centaines de joueurs de courte paume venus du monde entier (Australie, États-Unis, Grande Bretagne, Pays-Bas). Il se déroule en alternance dans les anciennes salles de jeu de paume devenues « les plus vieux trinquets du monde » encore en activité en Béarn et dans le Pays Basque :
- Trinquet Hapette de Labastide-Clairence (1512)
- Trinquet Dongaïtz à Urrugne (1563)
- Trinquet Saint-André de Bayonne (1601)
- Trinquet Artetxea de Bidarray (1850)
Première mutation : le JPN retrouve les codes-couleur de la courte paume. Photo Simon Berry (2024)
Émile Broquedis, maître-paumier et pelotari (1862-1919)
Formé aux jeux de balles et de pelote dans le vieux « Jeu Maubec » de Bayonne, alors tenu par son oncle M. Licou, le jeune Émile âgé de 17 ans est appelé pour tenir le Jeu de paume de la rue Rolland à Bordeaux. [voir cette salle]. Il revient à Bayonne de 1881 à 1888 pour reprendre la salle de courte paume qui adopte définitivement le nom de « trinquet Saint-André » puisqu’on y joue aux disciplines de Pelote basque (main nue et pasaka).
En 1888, Émile Broquedis poursuit sa carrière de maître-paumier à Pau, dans la nouvelle salle de courte paume récemment inaugurée dans le quartier du Parc Beaumont. Il y organise indifféremment des parties de paume et de pasaka pour animer le lieu.
En 1901 et 1902, il passe quelques mois aux États-Unis comme joueur de courte paume. En 1904, il part définitivement s’installer à Paris et s’installe au Jeu de paume des Tuileries avec sa famille, jusqu’à la fermeture de la salle parisienne transformée en galerie d’art en 1909. Il devient enfin professeur de lawn-tennis dans une salle de la rue Saint-Didier (16e arrondissement).
Un de ses fils, Louis Eugène (1890-1983), est professeur de lawn-tennis à la Société de sport de l’Île de Puteaux malgré le handicap d’une blessure obtenue au bras pendant la guerre. Le second fils, Louis Émile (1891-1914), meurt à l’âge de 22 ans au cours du premier conflit mondial en Belgique.
Marguerite Broquedis (1893-1983)
Fille du maître-paumier palois Émile Broquedis et de Louise Vergez, sœur des deux précédents, elle est initiée à la pratique des sports de balles et de raquettes par son père dans la salle du « Jeu de paume & Tennis court » que son père dirige au Parc Beaumont. Le logement familial où elle est précisément née est attenant à la salle de jeu.
À dix-neuf ans, Marguerite décroche la médaille d’or lors du tournoi de lawn-tennis (simple dames) des Jeux olympiques de Stockholm en 1912, devenant ainsi la première Française championne olympique dans une délégation dont elle est la seule femme. Elle est la première à oser poser son corset pour jouer. Elle gagne encore le championnat de France en 1913 et 1914, avant qu’une jeune championne du nom de Suzanne Lenglen ne mette un terme à sa suprématie sportive. Elle obtient un dernier titre important en double mixte avec Jean Borotra lors des Internationaux de France en 1927.
Photographie : 1912, Agence Rol – source : Gallica
Dessin : Mme Broquedis-Billout par Louis de Fleurac, 1920-1923 – source : Gallica
Galerie photo du Jeu de Paume du Parc Beaumont à Pau
Localisation du Trinquet de Beaumont à Pau
Ressources documentaires et bibliographiques
Albert De Luze, La magnifique histoire du jeu de paume, Bordeaux : Belmas, 1933, p. 84.
Thierry Bernard-Tambour et Yves Carlier, Jeu des rois, roi des jeux. Le jeu de paume en France, Paris : RMN, 2001, pp. 170-173.
Danielle Décamps, La vie sportive à Pau de 1900 à 1920, thèse, Université de Pau-Pays de l’Adour, 1979. Lawn-tennis club & trinquet de Pau (1887-1987) : histoire d’un club centenaire, Pau, 1987.
Richard Travers, Pau, Real Tennis and Henri de Vaufreland, Melbourne : Oryx Publishing, 2017. Le jeu de paume à Pau, Bayonne, Urrugne et Labastide-Clairence, Pau : éd. Marrimpouey, 2019.
Clastres Patrick, « Les joueurs de courte paume et de tennis en France (1860-1930) : une histoire atlantique et croisée », in Bauer et Gomet, Histoire(s) de balles et de plumes, Limoges, 2020, pp. 39-59.
Liens
Fiches Patrimoine Culturel Immatériel en France (PCI), ministère de la Culture
Fiche PCI n°271 : Jeu de paume ou de courte paume, Karine Michel, 2012
Fiche PCI n°334 : Le jeu de courte paume, Cendrine Lagoueyte, 2014
Patrimoine et inventaire de Nouvelle Aquitaine : voir ici
Notice rédigée par Serge Vaucelle, historien, CreSco (UR 7419), Université Toulouse 3 Paul Sabatier, octobre 2024